LEMONDE.FR | 24.02.12 | 21h46 • Mis à jour le 25.02.12 | 2
Marie Colvin et Rémi Ochlik, les deux journalistes tués dans le bombardement du centre de presse de Homs qui a également blessé plusieurs journalistes européens, ont-ils été trahis par leurs téléphones satellitaires ?
Le Telegraph rapporte que dans les jours précédant l'attaque, plusieurs journalistes présents dans la ville soupçonnaient que leurs téléphones satellitaires aient pu être repérés, et que le signal de ces appareils soit utilisé pour guider des bombardements.
L'hypothèse n'est toutefois pas la plus probable. Comme le rappelle l'organisation de défense de la presse Reporters sans frontières, les militaires syriens n'ont pas eu besoin de recourir à des technologies avancées pour cibler le centre de presse.
"Le bâtiment aurait été visé de manière intentionnelle, étant de notoriété publique qu'il accueillait régulièrement des journalistes", explique l'ONG, qui voit dans ce bombardement la preuve directe de la volonté de l'armée de cibler délibérément les journalistes sur place.
Plusieurs témoignages laissent cependant entendre que l'armée utilise les signaux des téléphones mobiles pour guider ses tirs d'artillerie dans le quartier de Baba Amro, épicentre de la contestation contre la dictature. Les lignes téléphoniques filaires ont été coupées dans la ville.
UN SYSTÈME DE SURVEILLANCE INSTALLÉ PAR UNE ENTREPRISE ITALIENNE
Repérer les signaux de téléphones mobiles et en déduire l'origine du signal nefait pas appel à une technologie élaborée. En triangulant la source d'un signal, il est possible, avec un matériel relativement basique, de déterminer l'endroit où se situe un téléphone mobile avec une précision relative, mais parfaitement suffisante pour un bombardement.
La Syrie a cependant mis en place un véritable système de surveillance à grande échelle des moyens de communication. Le pays avait acheté à Area SpA, une entreprise italienne, un ensemble de logiciels de surveillance américains, français et allemands, permettant de surveiller aussi bien les communications Web que les conversations téléphoniques. Selon l'agence Bloomberg, la Syrie a notamment acheté, via Area, une technologie de surveillance des communications Web au français Qosmos, qui élabore notamment des systèmes d'inspection de paquets (DPI, Deep Packet Inspection), l'équivalent électronique d'un passage au scanner.
Malgré les sanctions prises par la communauté internationale contre Damas et l'interdiction de vente d'armes à la Syrie, la vente de ces technologies de surveillance n'est pas proscrite. Pour les défenseurs des droits de l'homme, elle est cependant assimilable à une complicité de crimes de guerre, puisque ces technologies de surveillance sont utilisées par la Syrie pour surveiller et retrouver les dissidents, victimes de tortures et d'exécutions sommaires.
LES TÉLÉPHONES SATELLITAIRES VULNÉRABLES
La surveillance des téléphones satellitaires est également possible – et techniquement simple concernant des informations de base. Localiser un appareil, par exemple, requiert un équipement minimal, et les signaux de ces appareils sont aisément identifiables.
Espionner les conversations transmises par ces appareils est en revanche plus complexe, mais n'est pas impossible. Début février, une équipe de chercheurs de l'université de Bochum (Allemagne) était parvenue à "casser" partiellement l'encryptage utilisé par la plupart des téléphones satellitaires. Les chercheurs ne sont pas parvenus à décoder intégralement les signaux cryptés échangés par le téléphone et le satellite, mais estiment que les vulnérabilités qu'ils ont découvertes montrent que les encryptages actuels peuvent être cassés.
Surtout, les téléphones satellitaires constituent une cible de choix pour les services de renseignement, syriens ou non, puisqu'ils sont très majoritairement utilisés par les journalistes, hommes d'affaires ou autres personnes ayant besoin d'un système de communication indépendant et échangeant des informations sensibles. "Gardez cela à l'esprit la prochaine fois que vous utiliserez votre [téléphone ou pager satellitaire], spécialement dans une zone de guerre", rappelle le blog spécialisé Open BTS. "Quel que soit votre encryptage ou système d'identification, la simple existence de ces signaux radio envoie un message à tout observateur militaire : 'il y a quelqu'un ici avec un système de communication particulier, et ce n'est pas l'un des nôtres'. C'est un message qui peut être très dangereux."
Le Monde.fr
J.T.Khoreich
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